Après l’enthousiasme généré pour un article sur le locavorisme intitulé « Locavore, l’art de consommer en circuit court », je voulais absolument vous en reparler. Je suis alors tombé sur une conférence TEDx admirablement tenue par le Docteur Henry JOSEPH. Rien n’est à jeter dans son discours. Que ce soit en terme de style, d’information technique donnée ou de message apporté pour que chacun désire devenir locavore.

C’est notamment grâce au précieux travail de Florence GLOUCHE et d’Elisabeth Buffard que j’ai pu vous retranscrire sa conférence par écrit. Vous avez donc la possibilité ici de visionner cette vidéo ou de lire ses propos. Comme il vous plaira !

Soyons tous locavores! | Henry JOSEPH | TEDxPointeaPitre

La fable du colibri, par Henry JOSEPH

Il y eut un gigantesque incendie de forêt. Tous les animaux étaient atterrés. Ils avaient peur, ils se mirent à courir, sauf un petit colibri, qui s’activait, allant chercher de l’eau avec son bec, pour éteindre ce gigantesque incendie.

Un tatou, agacé par les va-et-vient de ce petit colibri, lui dit : « Colibri ! Tu crois que c’est avec ces gouttes d’eau que tu vas éteindre le feu ? T’es pas fou ? »

Le petit colibri répondit : « Je le sais, mais je fais ma part, tu n’as qu’à faire la tienne ! »

Alors, je voudrais vous inviter, vous ici, à être des petits colibris. Et pour ça, je vais vous raconter une histoire, mon histoire.

“Que mangeons-nous réellement ?”

Quand on raconte des histoires, chez nous, en Guadeloupe, on dit Tim tim ! Public : Bwa sèk ! Yékri ! Public : Yékra ! Yémistikri ! Public : Yémistikra! La cour dort ? Public : La cour ne dort pas. Puisque la cour ne dort pas je vais commencer l’histoire.

Tout commence le 12 mai 1955. (Rires)

Il y a seulement 60 ans, figurez-vous, il y avait 2,7 milliards d’hommes lors de ma naissance sur la planète Terre. Regardez, en 2015, les chiffres se sont inversés nous sommes 7,2 milliards. Toutes les statistiques prévoient que d’ici 2050, nous serons 9 milliards d’hommes. Presque autant que quand je suis né par rapport à 2015.

Des hommes comme vous et moi qui doivent manger le matin, le midi et le soir. Mais, que mangeons-nous réellement ? Des ressources naturelles. Produites par qui ? Par cette petite planète Terre, sauf que, selon une ONG américaine, Global FoodBanking Network, qui nous dit que, depuis le 13 août 2015, de cette année, nous avons atteint ce qu’on appelle le jour du dépassement.

Qu’est-ce que c’est ? C’est-à-dire que la consommation de l’humanité, que nous sommes a dépassé la capacité de la planète Terre à renouveler ses ressources propres. Ce qui veut dire qu’à l’heure où je vous parle, nous vivons à crédit.

Nous vivons à crédit. Et selon ces mêmes auteurs, d’ici 2050, il faudra 2 planètes Terre pour faire face à la consommation humaine. Vous voyez que c’est impossible.

consommation de nourriture humaine
Le locavorisme est littéralement à portée de main

“Je mangeais des aliments riches en substances”

Je me rappelle, quand j’étais petit, alors je gambadais dans les savanes, et je mangeais des fruits sauvages. Des pommes surettes, des icaques, des cerises-pays avec 1800 mg de vitamine C. Des mangues avec 128 mg de vitamine C, des goyaves avec 900 mg de vitamine C. Et comme mes parents étaient pauvres, on ne pouvait pas acheter les pommes, et heureusement, il y avait que 30 mg de vitamines C. (Rires et applaudissements)

Et, j’allais à l’école à pied, je faisais beaucoup de sport, ne serait-ce que pour monter dans les arbres. Et quand je revenais le midi, Maman et Papa me faisaient de bons petits plats. De bons petits plats d’ignames, index glycémique 37 (Rires)

Mes parents me donnaient des patates douces, index glycémique 40. Mes parents me donnaient des malangas, index glycémique 55. Et là, je n’étais pas gros… jusqu’à maintenant, (Rires) parce que je fais attention.

Et pourquoi je ne grossissais pas, c’est tout simplement, non seulement je mangeais des aliments riches en substances qu’on appelle des antioxydants comme la vitamine C, qui protégeait mes cellules, mais aussi je mangeais des aliments à index glycémique bas c’est-à-dire l’index glycémique, c’est la capacité que possède un aliment à donner son sucre au sang.

“Nos fruits sauvages […] ne sont plus ramassés”

Il y a des aliments qui donnent doucement le sucre au sang. Et quand le sucre arrive doucement dans le sang, vous n’avez pas d’hyperglycémie. Et si vous ne faites pas d’hyperglycémie, vous n’allez pas faire d’hyperinsulinémie. C’est-à-dire que votre corps ne va pas sécréter trop d’insuline. Et si votre corps ne sécrète pas trop d’insuline, vous ne deviendrez pas diabétique.

Ensuite, comme vous ne secrétez pas trop d’insuline, forcément, le peu de sucre que vous ingérez vous sert à vous déplacer et pallier à vos occupations. Donc vous n’avez pas le temps de le stocker.

Maintenant, c’est fini ! Aujourd’hui, 80 % des alimentations sont portées par des bateaux et des avions. Tout est à portée de main. Au frigo. Donc on n’a pas besoin de faire du sport.

En plus, nos fruits sauvages, comme les mangues, par exemple, qui pourrissent sous les roues de votre voiture au bord des routes, ne sont plus ramassées. C’est-à-dire les 128 mg de vitamine C qui vous permettent d’être dans un pays de soleil. Parce que cette vitamine C est une substance protectrice.

En plus, qu’est-ce qui se passe, c’est que ces aliments que vous importez, si vous les importez, ça ne doit pas se gâter. Et pour que ça ne puisse pas se gâter, vous êtes obligés de transformer ces aliments. Et en transformant un aliment, vous augmentez son index glycémique.

“le surplus est transformé en graisse et vous prenez du poids”

Par exemple, je vous ai dit que le poyô a un index glycémique de 40, faible, alors le riz a un index glycémique de 78, élevé. Le pain blanc a un index glycémique de 80, élevé. La pomme de terre, les frites, ont un index glycémique de 88, élevé.

Et quand un aliment a un index glycémique élevé, ça passe très vite dans le sang. Et quand un sucre passe très vite dans le sang, vous faites ce qu’on appelle des hyperglycémies. Et quand vous faites des hyperglycémies, vous devriez sécréter une hormone qui s’appelle l’insuline, pour faire chuter le taux de sucre dans le sang.

Et pour le faire chuter, vous allez faire tomber ce sucre, mais le stocker dans le foie et dans le muscle. Mais la capacité de stockage du muscle et du foie sont limitées comme le bac de votre voiture. Si c’est 52 €, ce n’est pas 53€. Donc si vous continuez à appuyer sur la pompe, vous allez faire déborder votre bac.

Et c’est ce qui se passe quand vous mangez des sucres trop rapides, à ce moment-là le bac foie et le bac muscle débordent et le surplus est transformé en graisse et vous prenez du poids. (Rires)

Quand le sucre passe très rapidement dans le sang, vous fatiguez le pancréas. Et quand le pancréas est fatigué, vous ne secrétez plus d’insuline. Vous devenez diabétique.

Framboise trop sucrée
Attention à ne pas manger trop sucré

“Quand vous réchauffez la planète, vous déréglez le climat”

Diabète et obésité sont des facteurs de risque des maladies cardiovasculaires c’est-à-dire la première cause de mortalité chez nous, en Guadeloupe. Quand vous écoutez les obsèques le matin, quand 100 guadeloupéens meurent, 33 meurent de maladies cardiovasculaires. Avant le cancer : 22%. Ou les accidents de la route : 11%.

Donc, vous voyez, si il y a un ennemi public numéro 1, ce sont les maladies cardio-vasculaires. Mais s’il n’y avait que ça, ce ne serait pas grave.

Parce que, ces bateaux et ces avions, utilisent du pétrole pour se déplacer. Et bientôt, il y aura ce qu’on appelle la COP 21. Et cette COP21 va nous dire qu’il faut limiter de 2° la température de la planète.

Or, quand un bateau, un avion utilise du pétrole, il va brûler ce pétrole pour fabriquer ce qu’on appelle les gaz à effet de serre. Donc vous allez réchauffer la planète. Et quand vous réchauffez la planète, vous déréglez le climat, l’intensité des cyclones augmente mais aussi l’intensité des inondations.

Pas si loin que ça, Erika : 40 morts dans l’ile de la Dominique. La Côte d’azur : plus de 20 morts.

Et la semaine dernière, de gros dégâts à Rivière-pilote en Martinique. Tout simplement, en mangeant. Posez-vous des questions.

“J’ai décidé d’être un locavore”

Alors, j’ai décidé, j’ai décidé d’être un LOCAVORE. Ba-ba-ba-boum ! (Applaudissements) Je ne veux plus être responsable du dérèglement climatique. Je ne veux plus être responsable des maladies qui nous tuent. Et c’est pourquoi j’ai décidé d’être un locavore.

Alors, certains diront que Joseph veut arriver à l’autosuffisance alimentaire, mais c’est un utopiste, Joseph ! Or, un grand humaniste du nom de Théodore Monot disait que l’utopie, c’est ce qui n’a pas été essayé.Alors soyons des petits colibris, essayons.

Si être un utopiste, c’est de diminuer 2° de la planète Terre, allons-y ! Si être utopiste, c’est diminuer le diabète, les maladies cardiovasculaires, l’obésité, allons-y ! Si être utopique, c’est aussi voir fleurir les marchés du soir Gosier, Le Moule, St François, Petit-Bourg, allons-y ! Si être utopique, c’est augmenter le revenu de nos agriculteurs, allons-y !

♫ Alors je sèmerai les utopies ♫ (Rires) Je ne sais pas chanter, mais j’essaye (Applaudissements) Alors, je ré-essaye. C’est la chanson de Zaz. ♫ Je sèmerai les utopies ♫ ♫ Plier serait interdit ♫ (Rires) ♫ On ne détournerait plus ♫ … j’ai oublié, c’est pas grave ! (Applaudissements) 

Locavore, l'art de consommer local
Le bon sens ne serait-il pas de manger local et varié ?

Alors, comme nous sommes maintenant des utopistes, je vais vous dire que nous avons une chance exceptionnelle d’être dans un pays exceptionnel, La Guadeloupe. Combien de personnes dans cette salle, ne trichez pas, savent que la Guadeloupe est patrimoine de l’Humanité ? Levez le doigt. Il y en a quelques uns. C’est très bien.

“On va pouvoir manger sain !”

Et vous savez pourquoi ? Tout simplement, depuis 1992, l’UNESCO a décerné à la Guadeloupe zone de réserve de la biosphère mondiale C’est la seule zone de réserve de la biosphère mondiale, la Guadeloupe de la Jamaique à Trinidad. En raison de sa biodiversité exceptionnelle Et beaucoup de Guadeloupéens ne le savent pas.

Ainsi, en Guadeloupe, nous avons 3800 espèces de plantes. Je les ai comptées pour vous. Et ces 3800 espèces de plantes fabriquent tout ce dont nous avons besoin : des aliments pour nous nourrir, des médicaments pour nous soigner, du bois pour nous abriter, etc, etc.

Et sur ces 3800 espèces de plantes, nous avons 625 plantes médicinales, nous avons 220 espèces comestibles, 130 fruits, 60 légumes, une vingtaine de tubercules, une dizaine de noix et graines !

Et on nous dit que pour être en bonne santé, il faut consommer 5 fruits et légumes par jour. Alors, consommons en 5. 5 moins 220, il reste 215 derrière ! Et on nous dit que si le bateau n’entre pas, on va mourir de faim. Mais c’est une blague ! (Rires) (Applaudissements)

Alors, chut, si le bateau n’entre pas, on est sauvés ! (Rires) (Applaudissements) Parce que là, on va pouvoir manger sain ! Beaucoup de vitamine C, beaucoup d’aliments à indice glycémique bas, etc. Et ceci est produit où ? Dans ce fameux jardin créole. Ce bijou que nous ont laissé nos ancêtres. 

“Nous sommes dans un écosystème équilibré”

Et ce jardin créole nous permet de respirer un air pur ! Parce que dedans vous avez de multiples plantes, vous avez pas que canne-banane ! Vous avez fruit à pain, avocats, malaka… On a tout, dans le jardin créole. Et ce tout, ce sont des êtres vivants qu’on appelle des plantes, et les plantes en fait, font le contraire de l’homme. Elles vont respirer du gaz carbonique, ce fameux gaz à effet de serre. à effet de serre que fabriquent les plantes, captent le CO² puisent de l’eau dans le sol donc CO² + h3O, ça donne C6h3O6, donc du glucose, plus de l’oxygène qui se dégage. Et dans l’oxygène il n’y a pas de carbone.

Donc vous voyez, plus vous allez planter des plantes, plus vous allez dégager de l’oxygène, et qu’est-ce que nous faisons ? Je respire de l’oxygène, attention, donné par les plantes, et je rejette du gaz carbonique, encore des gaz à effet de serre. Donc vous voyez, plus vous allez bétonner les terres, moins vous allez pouvoir respirer. Merci les plantes

Non seulement les plantes nous permettent de respirer un air pur, mais les plantes nous permettent aussi de boire une eau pure. Parce que le principe même du jardin créole consiste à ne pas utiliser de pesticides, ne pas utiliser d’herbicides, on n’en a pas besoin. Parce que nous sommes dans un écosystème équilibré. Avec de multiples plantes qui vont abriter ce qu’on appelle des prédateurs, qui vont manger les petits insectes nuisibles. 

“Le jardin créole nous permet de manger sainement”

Et, je viens de vous dire que le jardin créole nous permet aussi de manger sainement. Et de nous protéger contre les maladies dégénératives comme l’Alzheimer, le cancer, etc.

Alors je pense qu’aujourd’hui, nous devrions, en Guadeloupe, nous réinventer. On doit aller de plus en plus vers ce que j’appelle la créativité inventive et la créativité productive. C’est-à-dire aller chercher au plus profond de nous-mêmes ce que nous avons de spécifique et d’original. Et on va trouver ça où ? Dans notre biodiversité, dans notre jardin créole. Mais d’où vient ce jardin créole ?

Vous savez, c’est le résultat d’une multitude. C’est le résultat des multitudes de migrations qu’a connu notre archipel, la Guadeloupe. Les Arawaks nous ont amené des topinambours, du roucou, les Indiens nous ont amené du curcuma… En fait tous ces peuples nous ont amené quelque chose. Les Tahitiens nous ont amené du fruit à pain. 

Donc aujourd’hui, je vous invite tous, à aller vers ce jardin créole. Regardez par exemple ce fruit à pain. Il est bourré de fruits à pain, c’est de l’abondance ! On nous dit qu’il faut faire des économies, mais faire des économies, c’est quand on a pas. Donc je vous invite, plutôt que de faire des économies, de faire ce qu’on appelle la générosité de partage.

J’ai un petit-fils qui a deux ans. Il s’appelle Léonard. En 2050, dans 35 ans, il aura 37 ans. Mon plus grand regret, j’aurai 95 ans, serait que Léonard me dise : « Papi, tu sais, j’ai regardé TEDx de 2015. J’ai faim ! (Applaudissements) Alors, pourquoi tu n’as pas crié plus fort ? »

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